Ukraine

Les élites russes n’ont eu de cesse de vouloir rassembler le « monde russe »
sous un seul toit et de mettre fin à la dispersion des russophones après
l’effondrement soviétique et l’indépendance de ses composantes. Ce fut la
politique dite des compatriotes puis le soutien aux séparatismes
périphériques. Elle a été théorisée par le président russe dans un long texte
publié en 2021 soutenant que Russes et Ukrainiens sont un même peuple.
L’agression militaire du 24 février 2022 est l’étape suivante d’un conflit
présenté comme devant libérer les russophones. Une telle analyse ne pouvait
que se heurter à la résistance de la nation ukrainienne, renforcée depuis
l’annexion de la Crimée en 2014 et capable de s’y préparer. Les destructions
les plus violentes se déroulent dans les régions peuplées d’Ukrainiens de
langue maternelle russe, qui constituent également une part importante des
réfugiés. Ce qui se joue depuis le 19° siècle est bien la construction par
étapes, avec des avancées timides d’une identité nationale ukrainienne
distincte de celle de la Russie, et des reculs tragiques, notamment avec la
politique stalinienne d’anéantissement de la culture ukrainienne 1 et de
déportation des opposants. L’issue de la guerre dépend du rapport des forces
sur les divers terrains, selon les objectifs du Kremlin. Plusieurs scénarios
sont analysés, dont le pire serait soit une destruction des grandes villes,
soit une partition de l’Ukraine le long du Dniepr. Les négociations peuvent
aboutir à des accords partiels sur la neutralité stratégique de ce pays des
confins, laquelle aurait pu être mise en œuvre plus tôt et dans le calme mais
cette voie d’apaisement avait été refusée par l’équipe de Bush. Il reste enfin
à comprendre les effets et les retours d’expérience de cette guerre
mondialisée, où rejoue, sous la houlette de l’allié chinois de la Russie, le
ressentiment contre un Occident provisoirement consolidé sous la direction des
États-Unis. Michel Foucher est géographe et diplomate (ancien conseiller du
ministre Hubert Védrine – 1997-2022- et ambassadeur dans les pays baltes –
Lettonie – 2002-2006). Professeur de géopolitique appliquée à l’École normale
supérieure (2007-2010 et 2013). Derniers ouvrages parus : Arpenter le monde.
Mémoires d’un géographe politique, Laffont, 2021 ; Atlas des mondes
francophones, Lignes de repères, 2020 (Préface d’Alain Borer) L’Atlas a obtenu
le grand prix du rayonnement de la langue et de la littérature française de
l’Académie française, 2/12/2021)